À mesure que l'Islam se propageait, les nouvelles tribus aux dialectes variés éprouvaient des difficultés à réciter le Coran dans le dialecte de Quraysh. Pour leur faciliter la tâche, la permission divine fut accordée au Prophète ﷺ de l'enseigner en sept Ahruf (sept "modalités"). C'étaient des variations autorisées dans la récitation (prononciation, synonymes), toutes considérées comme Révélation.
Après la mort du Prophète ﷺ, un grand nombre de mémorisateurs du Coran furent tués lors de la bataille de Yamama. Le calife Abou Bakr ordonna à Zayd ibn Thabit de rassembler toutes les sources écrites et orales pour compiler un manuscrit du Coran en utilisant le harf du Prophète ﷺ (Celui de Quraysh).
Les Compagnons s'étaient dispersés et enseignèrent le Coran selon les différents Ahruf qu'ils avaient appris. Lorsque leurs élèves se rencontraient, des désaccords éclataient, chacun pensant que sa version était la seule correcte.
Pour mettre fin à ces disputes et unifier la communauté, Uthmān ibn Affan, en consultation avec les autres grands Compagnons, fit des copies du coran réalisée sous le califat d'Abou Bakr et envoya ces copies dans les capitales de l'empire et ordonna que toutes les autres copies personnelles soient détruites.
Étant donné que le rasm d'Abu Bakr était sans points diacritiques ni voyelle (harakat), les Ahruf qui n'étaient pas compatibles avec ce texte ne furent plus autorisés après la standardisation d'Uthmân.
Après la standardisation, la transmission du Coran est restée principalement orale. Dans chaque grande ville, de grands maîtres (les Imams des Qira'at, comme Nafi' à Médine ou 'Asim à Koufa) ont consacré leur vie à collecter et vérifier les chaînes de transmission (isnad) qui remontaient jusqu'au Prophète ﷺ.
Leur travail, était de choisir face à plusieurs transmissions pour un même mot, la lecture qu'il jugeait la plus solide en réalisant un travail de sélection académique (Ikhtiyar). L'accumulation de ces choix entre les différentes lectures donne naissance à une Qira'ah.
Aux 9ème et 10ème siècles, un savant du nom d'Ibn Mujahid entreprit un travail académique monumental. Il étudia les nombreuses récitations (Qira'ah) existantes et sélectionna les sept qu'il jugeait les plus fiables, en se basant sur la solidité de leur chaîne de transmission et leur éloquence.
Son livre sur ces "Sept Lectures" devint si populaire que beaucoup de gens ont commencé à confondre ces 7 Qira'at (un choix académique humain) avec les 7 Ahruf (la révélation divine originelle).
Conscients de cette confusion, des savants ultérieurs ont critiqué le choix de ce chiffre et ont complété la liste avec trois autres lecteurs tout aussi authentiques (Abu Ja'far, Ya'qub et Khalaf) fixant ainsi le nombre de dix Qira'at.
Aujourd'hui encore, un érudit peut établir sa propre Qiraa en combinant les Qira'at existantes, selon les mêmes principes de sélection (Ikhtiyar) que les Imams d'origine.
Voici un exemple de différence entre qiraat dans la sourate Al-Baqara (2:259), le même passage peut être récité de deux manières :
Ces deux récitations sont des versets révélés distincts, et dans ce cas complémentaires.
Il s'agit souvent de variations phonétiques ou de légères nuances lexicales qui n'altèrent pas le sens fondamental du verset. Les mots changent, mais le message reste le même.
Exemple : Sourate Al-Fātiḥa, verset 6
Le mot « chemin » (ṣirāṭ) est lu de différentes manières authentiques qui ne changent pas le sens, reflétant la richesse des dialectes arabes :
Dans tous ces cas canoniques, malgré les variations de prononciation, le mot signifie strictement la même chose : « le chemin ». Le message du verset reste parfaitement identique.
Ces variations enrichissent le sens, offrant des facettes supplémentaires et une compréhension plus profonde du message coranique. Les lectures se renforcent mutuellement.
Exemple : Sourate Al-Fātiḥa, verset 4
Les deux termes « Maître » et « Roi » expriment deux dimensions complémentaires de l’autorité divine : la possession absolue et la royauté suprême. Ces lectures s’harmonisent parfaitement sans contradiction.
Exemple : Sourate Al-Isrā’ (17:101–103)
Verset 101 :
« Et certes, Nous avons donné à Moïse neuf signes évidents. Demande donc aux enfants d’Israël, quand il leur vint et que Pharaon lui dit : Ô Moïse, je pense que tu es ensorcelé. »
Verset 102 (les deux lectures) :
Il est essentiel de comprendre qu'une lecture canonique (qirā'a) n'est pas une simple "variante" du même verset. Chaque qirā'a constitue un verset distinct et authentique, révélé comme tel. Nous ne sommes donc pas en train de lire deux versions d'une seule parole, mais bien deux versets révélés différents.
Ces deux lectures ne sont pas deux "angles" sur une seule parole, mais le rapport de deux paroles distinctes, prononcées à deux moments différents de la confrontation.
1. La lecture « Je sais » (ʿalimtu) : Une défense personnelle.
Cette version est la réponse directe et logique de Moïse à l'accusation de Pharaon au verset 101 : « je pense que tu es ensorcelé ». Face à cette attaque visant sa santé mentale, Moïse défend son intégrité et sa certitude en affirmant sa propre connaissance inébranlable.
2. La lecture « Tu sais » (ʿalimta) : Une confrontation directe.
Cette version rapporte une autre scène : un acte de confrontation où Moïse s'attaque à l'hypocrisie de Pharaon. Il ne se défend plus, il accuse. Il lui rappelle que Pharaon, au fond de lui, connaît la vérité mais la nie par orgueil, une réalité confirmée ailleurs dans le Coran : « Ils les nièrent injustement et orgueilleusement, alors que leurs cœurs y croyaient avec certitude. » (An-Naml 27:14).
Cette méthode consistant à rapporter des moments distincts d'un même événement n'est pas une exception, mais un procédé narratif courant dans le Coran . La confrontation de Moïse avec les magiciens de Pharaon, par exemple, est racontée dans plusieurs sourates qui capturent des dialogues tenus à des moments différents de la scène.
D'abord, dans la sourate Ash-Shu'ara, le Coran rapporte la parole de Moïse avant que les magiciens ne commencent :
« Moïse leur dit : "Jetez ce que vous avez à jeter." » (Ash-Shu'ara 26:43)
Puis, dans la sourate Yunus, il rapporte sa parole après qu'ils aient jeté leurs cordes :
« Lorsqu’ils jetèrent, Moïse dit: "Ce que vous avez produit est magie! Allah l’annulera..." » (Yunus 10:81)
Le fait que les Qirā'āt rapportent deux dialogues distincts s'inscrit donc parfaitement dans cette logique narrative. Elles agissent simplement comme un mécanisme de révélation différent, permettant de rapporter des moments distincts au sein de la même position de verset
Une contradiction, c'est lorsque deux affirmations portent sur le même sujet, au même instant, et dans le même contexte.
Exemple concret : L'âge du roi Achazia dans la Bible
Le sujet est le même (l'âge d'Achazia à son couronnement), au même instant (lorsqu'il devint roi) et dans le même contexte (le couronnement d'Achazia).
Ici, nous sommes face à un choix :
Si nous acceptons l'explication de l'erreur de copiste, cela résout le problème de la contradiction, mais cela confirme que le texte biblique actuel n'a pas été parfaitement préservé de l'erreur humaine.